« Rancune et colère, voilà des choses abominables où le pécheur est passé maître ». (Si 27,30) Ces paroles de Ben Sira le Sage ouvrent pour ce dimanche la liturgie de la Parole. La rancune et la colère sont des tentations auxquelles il nous arrive de succomber, nous devons bien le reconnaître. Il est de ces rancunes recuites dont il nous semble impossible de nous débarrasser. A leur origine, il y a souvent une blessure infligée dont nous ne comprenons peut-être pas la raison et alors jaillissent de notre bouche ces paroles terrifiantes : ‘Jamais je ne pardonnerai, le mal qui m’a été fait est impardonnable’ ! La rancune une fois installée dans notre cœur ne cesse de diffuser son venin et plus le temps passe plus notre vie est empoisonnée et plus il nous semble difficile de changer notre attitude. Cela peut arriver dans notre vie personnelle ou aussi dans notre vie communautaire. Nous pensons ainsi nous venger du mal qui nous a été fait mais nous ressentons aussi le mal que nous nous faisons en refusant notre pardon, en évacuant la démarche de réconciliation.
En face de cette réaction dont on peut entendre les ressorts humains, l’Evangile qui conclut la liturgie de la Parole nous invite à toute autre chose. A la question que Pierre pose à Jésus : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus répond : ‘ Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois » (Mt 18, 21-22). En proposant de pardonner jusqu’à sept fois, Pierre se considère comme très généreux et pourtant Jésus multiplie de chiffre par 70. Ce qui laisse entendre qu’il faut toujours pardonner. Cette étape est importante dans la tradition biblique. En effet l’histoire d’Israël nous enseigne que le Seigneur veut canaliser l’ardeur de la vengeance. « Après le meurtre de son frère Abel, Caïn vivait dans la crainte de la vengeance tribale : « Quiconque me trouvera me tuera ». Et il ne devait sa survie qu’à la menace d’une vengeance encore plus terrible pour celui qui l’attaquerait : « Si quelqu’un tue Caïn, il sera vengé sept fois ». (Gn 4, 15). C’est ce qu’on peut appeler l’engrenage de la violence. Cinq générations plus tard, son arrière arrière-petit-fils, Lamek se glorifiait de se venger soixante-dix-sept fois ; et il chantait à ses femmes, Ada et Cilla, cette horrible chanson : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure ; oui Caïn sera vengé sept fois mais Lamek soixante-dix-sept fois ». En d’autres termes « Pour une simple blessure, je tue un homme ; pour une simple meurtrissure, je tue un enfant, mais si quelqu’un me tue, je serai vengé soixante-dix-sept fois ». (Gn 4, 23-24). (M-N Thabut commentaire de l’évangile). La Loi elle-même est explicite à ce sujet, il faut éviter l’escalade de la violence dans la vengeance : « œil pour œil, dent pour dent » c’est à dire si je t’arrache un œil tu ne te venges pas en m’en arrachant deux et si je te casse une dent tu ne me démontes pas la mâchoire !
Le pardon auquel Jésus nous convie, nous invite à déposer les armes de la rancune vengeresse pour user de celles de la miséricorde. Nous découvrirons alors qu’en pardonnant non seulement nous faisons du bien à ceux qui nous ont offensés mais nous nous faisons du bien en nous même en évacuant de notre cœur le venin de la vengeance qui est un poison pour notre vie.
Que Celui qui est venu dans notre monde pour nous pardonner nous accompagne sur la route du pardon et nous permette ainsi de retrouver la joie et la paix !