L'ÉDITO DU PÈRE CACAUD

semaine du 25 juin 2023

Craignez, mais n’ayez pas peur !

L’évangile de ce dimanche soulève plusieurs points mais ils se résument tous dans cette phrase apparemment contradictoire : « Craignez, mais n’ayez pas peur ». Jésus dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps ». Nous ne devons ni craindre les hommes ni avoir peur d’eux. Nous devons en revanche craindre Dieu mais nous ne devons pas avoir peur de lui. Il y a donc une différence entre peur et crainte, et nous allons essayer ici de comprendre pourquoi, et en quoi elle consiste. La peur est une manifestation de notre instinct fondamental de conservation. C’est une réaction à une menace contre notre vie, la réponse à un danger réel ou présumé : du danger le plus grand qui est celui de la mort aux dangers particuliers qui menacent notre tranquillité, notre sécurité physique ou notre monde affectif.

L’évangile nous aide à nous libérer de toutes ces peurs en révélant le caractère relatif et non absolu des dangers qui les provoquent. Il y a une partie de nous que rien ni personne au monde ne peut vraiment nous ôter ou abîmer : pour les croyants c’est l’âme immortelle, pour tous, le témoignage de notre propre conscience. (…)

La crainte de Dieu est très différente de la peur. La crainte de Dieu est une chose que l’on doit apprendre : « Venez, mes fils, écoutez-moi, dit un psaume, que je vous enseigne la crainte du Seigneur » (Ps 33, 12). Il n’est pas nécessaire en revanche d’apprendre la peur à l’école ; elle apparaît à l’improviste face au danger ; les choses se chargent elles-mêmes de nous inspirer la peur.

Mais c’est le sens même de la crainte de Dieu qui est différent de la peur. C’est une composante de la foi : elle naît du fait de savoir qui est Dieu. C’est le sentiment qui nous saisit devant le spectacle grandiose et solennel de la nature. C’est le fait de se sentir petits face à quelque chose d’immensément plus grand que nous ; c’est l’étonnement, l’émerveillement mêlés d’admiration. Devant le miracle du paralytique qui se lève et se met à marcher, on lit dans l’évangile que « Tous furent saisis de stupeur et… rendaient gloire à Dieu. Remplis de crainte, ils disaient : ‘Aujourd’hui nous avons vu des choses extraordinaires’ ! » (Lc 5, 26). La crainte est ici tout simplement un autre nom de la stupeur et de la louange. (…)

C’est parce que dans notre société, la sainte crainte de Dieu a diminué, pour ne pas dire complètement disparu. « Il n’y a plus aucune crainte de Dieu ! ». Nous le disons parfois unpeu à la légère mais cette affirmation contient une vérité tragique. Plus la crainte de Dieu diminue, plus la peur des hommes augmente ! Ceci n’est pas difficile à expliquer. Lorsque nous oublions Dieu, nous replaçons toute notre confiance dans les choses d’ici-bas, c’est-à-dire dans les choses que, selon le Christ « le voleur peut approcher et la mite peut ronger ». Des choses aléatoires qui peuvent nous manquer d’un moment à l’autre, que le temps (la mite) ronge inexorablement. Des choses que tout le monde ambitionne et qui déchaînent donc la concurrence et la rivalité (le fameux « désir mimétique » dont parle René Girard), des choses qu’il faut défendre les dents serrées et parfois le fusil à la main.

Raniero Cantalamessa OFM Cap
Théologien de la Maison Pontificale (2008)

Michel Cacaud